Tout s’est mis en place il y a 5 ans à Madrid. Elles étaient plusieurs de nationalités différentes à prendre du plaisir sur cette planche, et un jour elles ont décidés de créer un crew, un crew de rideuses, le plus grand qu’il soit au monde, le longboard girls crew. Parce que leur truc à elle c’est le longboard.

Tahina Miault, Elise Mathis, Marie Ficheux, Lyde Begue, Amanda Powell, Laure Descloitres, toutes sont passionnées par cette board qui les fait danser parfois mais aussi prendre de la vitesse jusqu’a plus de 60km/h.

Ce qu’elles aiment c’est la diversité de ce sport extrême. Arpenter les rues en slalomant entre les poteaux, balancer des tricks en montant les trottoirs, jouer à la danseuse en enchainant les pas ou pour les plus téméraires, descendre des courbes raides.

A l’heure ou les sports extrêmes ont encore une image masculine, elles sont déjà 200 000 dans plus de 180 pays à penser le contraire et à se battre pour se faire entendre. Ne tenter pas de leur vendre une board rose, elles vous la balanceront à la gueule et vous feront bouffer les roues.

Pour la beauté de ce sport, le sentiment de liberté qu’il procure et pour la passion qu’il déchaîne, nous sommes allés à la rencontre de Tahina Miault, rideuse née et créatrice du mouvement français « longbordeuses France ».

Salut Tahina, peux-tu tirer ton portrait en quelques lignes pour les lecteurs qui ne te connaitraient pas ? 

Salut Manon, j’ai 26 ans et j’habite à Nantes. J’ai fais des études dans la géographie et je travaille actuellement chez Quiksilver.

Comment le longboard est-il entré dans ta vie ? Etais-tu une skateuse avant de découvrir le longboard ? 

J’ai connu le longboard il y-a 4 ans maintenant, grâce aux vidéos du Longboard Girls Crew. En fait je connaissais déjà la discipline avant mais je ne pensais pas être capable d’y arriver jusqu’à ce que je vois que cette bande de filles ultra motivées pouvaient le faire. Ça m’a donné un coup de boost et j’ai acheté ma 1ère planche avec Alice ma meilleure amie.

Avant cela j’ai tenté le BMX mais je n’ai pas persévéré, et je pratiquais sinon la danse depuis l’âge de 4 ans.

Tahina Miault

Qu’est ce que tu aimes dans ce sport ? Le sentiment de liberté, la vitesse, le risque que tu prends à chaque fois que tu montes sur ta planche ?

Rouler ça me vide l’esprit, c’est vivifiant ! La glisse procure un sentiment assez addictif, une fois qu’on y goute on ne peut plus s’en passer. Je n’évalue pas trop les risques, je peux avoir beaucoup d’appréhension quand je sais que le spot est bien engagé mais je tente quand même et je vois bien ce si ça passe. C’est dans ces moments là ou j’ai le plus d’adrénaline, et une fois lancée sur la route c’est franchement génial !

Ce que j’aime encore le plus, c’est rencontrer des gens qui partagent la même passion.

Dans sa propre ville, ou en allant sur des évènements on rencontre du monde et on a l’impression de faire partie d’une grande famille.

Bien que beaucoup de monde pratique le longboard juste pour se déplacer, ceux qui sont vraiment passionnés et qui se retrouvent dans la sphère régulière des sessions ou des freerides sont finalement très peu, contrairement au skate, au roller ou au bmx, et ça, ça nous rapproche encore plus.

Tahina Miault

Tu es aujourd’hui ambassadrice du longboard girls crew, qui est le crew monde. Comment as-tu réussi à te faire connaitre auprès d’eux ?

A l’origine nous n’avions pas pour objectif d’être les représentantes du mouvement, nous avons seulement voulu suivre ce que faisaient les espagnoles en filmant nos sessions entre copines. Puis Valeria Kechichian et Jacky Madenfrost sont tombées sur cette vidéo. Elles nous ont proposé de représenter le LGC en France.

L’idée était vraiment cool, mais nous avions beaucoup à apprendre car nous ne connaissions par encore les pratiquants, nous ne connaissions pas toutes les disciplines etc. Mais dans la globalité, le but du LGC est d’encourager les filles à faire du longboard, les inciter à s’intégrer aux communautés existantes de leur ville ou région, les encourager à aller sur les évènements, rouler protégé etc, et ça c’était vraiment sympa et dans nos cordes donc on a tout de suite accepté !

Tahina Miault

Tu es sponsorisée par plusieurs marques qui te permettent d’être à la pointe niveau matos, mais en général trouves-tu les lignes de produits techniques adaptés aux filles ?

Le deck que je roule par exemple est un modèle adapté aux petits pieds. Il s’agit de la Riviera Ursa Minor (le modèle « grand pied » est la Ursa Major). Je trouve ça vraiment chouette d’avoir du choix pour un modèle plus adapté à sa morphologie. Toutes les marques ne le font pas et devraient pouvoir proposer ce genre de choix.

Je ne pense pas qu’il faille proposer des boards « pour les filles » ou « pour les garçons », je pense seulement qu’il faudrait prévoir des decks plus petits ou plus légers pour chacun.

Beaucoup d’hommes peuvent faire la même pointure et aussi la même taille ou même poids que certaines filles, et pareil inversement ! C’est dingue non ?? (joke)

Comment les mecs qui rident vous perçoivent ?

Les mecs qui rident sont cool, ils nous encouragent, nous donnent des conseils. Par contre les riders/rideuses qui voient débarquer des fashionistas qui sont là juste pour le style ou pour se donner un genre se font lyncher (autant homme ou femme, tout le monde en prend pour son grade)

Le longboard un sport d’homme, t’en penses quoi toi ? 

Qui a dit ça ? C’est qui le/la coupable ? Soit il s’agit d’UNE coupable (je parle de la fille qui pense d’elle même qu’elle n’arrivera jamais à faire ce sport) soit il s’agit d’UN coupable (le macho …).

Je trouve ça dommage qu’on se mette soit même des barrières. La plupart du temps c’est les filles elles même qui considèrent que le longboard est pratiqué par des hommes. Elles pensent ça car c’est un sport dangereux, impressionnant et extrême. Même si le sport est quand même relativement physique, il est accessible grâce à l’entrainement, et c’est pourquoi les filles peuvent d’autant plus se mettre au longboard.

A l’inverse des sports qui demandent une condition physique (endurance, muscle) comme le football, l’athlétisme etc, on est obligés d’avoir des équipes strictement féminines ou masculines car on n’a pas la même capacité physique que les hommes. Dans le longboard (que ce soit en dancing ou en freeride) les riders se mélangent car les femmes obtiennent facilement, voir des fois plus de niveau que certains hommes. La condition physique n’est pas aussi importante, c’est dans le mental et dans la technique que ça se passe. Notre sport est extrême car les risques qu’on prend sont dans la tête, contrairement à d’autres sports qui demandent seulement de la force physique et pas forcément de cran 😉

Tahina Miault danse

On sait que vous vous battez pour combattre les préjugés et les stéréotypes liés aux sports extrêmes, quelles ont été vos dernières actions et vos prochaines ? 

Pour se battre contre les préjugés, nous communiquons beaucoup sur le skills ! C’est à dire le niveau des filles, on montre qu’elles envoient du pâté et qu’elles donnent tout ! On doit sortir du cliché des filles qui font du skate/longboard pour se donner un genre ou faire sa belle pour attirer les mecs…

Les médias et les publicitaires ne nous aident pas car ils insistent beaucoup sur cette image très vendeuse, ils utilisent le longboard comme accessoire de mode et utilisent la femme pour vendre ce qu’ils proposent. C’est anti-sport et ça nous rabaisse encore plus au titre de femme objet.

Je pense que la meilleure manière pour se battre contre les stéréotypes est d’insister sur le niveau des femmes en longboard.

On doit montrer à la société qu’on est capable de rider et d’avoir un bon niveau, on doit montrer qu’on n’est pas seulement destinées à faire de la danse ou avoir des passions « de fille ». Nous sommes baignés dans une société de conditionnement avec des sports « pour les filles »/« pour les garçons », des jouets « pour les filles » / « pour les garçons », des métiers « pour les filles » / « pour les garçons ». Et il faut sortir de ça et casser les barrières. On peut le faire dans notre passion, donc on le fait. On montre donc que les filles peuvent faire un sport extrême et que le côté extrême n’est pas réservé qu’aux mecs.

Le dépassement de soi est important, et j’ai remarqué que les filles qui se dépassaient en longboard se montraient beaucoup plus téméraires dans leur vie de tous les jours, elles prennent plus d’initiatives, elles ont de grandes ambitions, sont plus sures d’elles. Avoir une passion qui permet de se dépasser et de prouver à la société qu’on est capable d’y arriver c’est très bon pour l’évolution personnelle. J’ai un message : Les filles dépassez-vous dans vos passions !

Comment serait un monde parfait pour toi (lié au sport bien-sur) ?

Sportivement parlant je pense qu’on est plutôt bien, les sports sont bien représentés et il y-a des catégories femmes dans presque toutes les disciplines.

Je pense seulement que la limite à nos sports est la sur-médiatisation des femmes (notamment les sports de glisse/extrêmes comme le surf) et la sexualisation de celles-ci. On ne demande plus à des filles comme Alana Blanchard de savoir bien surfer, on leur demande seulement de porter correctement les bikinis des sponsors.

Je trouve ça vraiment dommage de les voir (Alana Blanchard par exemple) plus souvent sur la plage plutôt que sur la vague.

Tout ceci sert à nourrir l’industrie des sports extrêmes et dans cette branche sportive je trouve que le sexisme est plus fortement utilisé par les médias que dans d’autres disciplines sportives.

C’est assez paradoxal d’insister sur la sexualisation dans ces sports qui sont vus comme assez bourrins et dangereux, mais je crois que c’est pour nourrir le fantasme de la femme qu’on ne retrouve pas là où on l’attend. Par exemple, un femme qui balance des gros gaps de marche en skate, et qui est plutôt jolie ça devient un fantasme pour les riders … Et ça les médias l’ont bien compris.

Les marques intelligentes utiliseront l’image de Leticia Bufoni en pleine action pour vendre leur matos, les autres, moins intelligentes utiliseront l’image de filles presque nues pour faire vendre (cf les deck de skate de la marque Skate Mafia). Mais là on rentre dans un débat encore plus compliqué à savoir la frontière qui existe entre utiliser l’image de la femme qui ride ou utiliser l’image du corps de la femme.

Tahina Miault

 Si toi, en tant que femme, tu avais un message à faire passer à l’industrie des sports, quel serait-il ? 

Je pense que le jour où le fantasme de la femme en surf/skate/snow/longskate etc. n’existera plus, la conséquence sera que la sexualisation médiatique des femmes ne sera plus « pertinente » (je met des guillemets car la pertinence ne l’est que pour les publicitaires ou les consommateurs passifs) et on arrivera dans une situation totalement normale et égalitaire.

J’espère qu’on arrivera bientôt à rendre la pratique féminine des sports extrêmes normale aux yeux de tout le monde.

Merci beaucoup Tahina d’avoir pris le temps de répondre à nos questions et surtout ne t’arrête jamais de porter tes messages.