Le Quiksilver Pro, difficile de passer à côté quand on s’intéresse un minimum au surf. Les infos et les photos circulent partout et pour cause c’est l’un des événements les plus attendus dans les landes chaque année. Attendu par le public pour le show mais aussi et surtout par la presse. Si les chaines de télévision et les magazines se bousculent pour interviewer les surfeurs en zone presse, pour les surfeuses ça se passe autrement.

14h, le call vient d’être lancé par une voix grave qui résonne sur la plage. C’est l’heure de la première série des hommes. Ça court partout sur le faux gazon côté média pendant que john john a déjà les pieds dans le sable. « zut, on l’a raté! » s’exprime un journaliste déçu. C’est la course. Café cul-sec et préparation mentale pour attraper le prochain pro qui sortira du bassin.

La zone presse, c’est comme un énorme jardin pendant les fêtes de pâques. Les oeufs, c’est les pro surfeurs. Eux, ils se cachent tandis les journalistes courent partout pour attraper les plus gros oeufs, enfin ici, les plus forts. Alors quand John john montre le bout de son pad, c’est la folie. « Il y a un événement qui intéresse beaucoup le grand public, c’est l’acceptation du surf dans le programme des JO en 2020. Du coup je suis venu chercher une star du surf qui me dit qu’elle veut aller chercher le titre olympique et qui est capable de prolonger sa carrière pour aller à Tokyo. » nous avoue un journaliste d’une grande chaîne de télévision.

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Il y a alors un mot qui me frappe : « grand public ». C’est quoi le grand public ? C’est un chaudron géant dans lequel tu mets ceux qui n’y connaissent rien, ceux qui s’y intéressent qu’une fois dans l’année parce que tout le monde en parle et ceux qui sont passionnés. Géant mais aussi magique parce que tous ces gens là sont copains grâce à la presse le temps d’un journal télé. « Le surf c’est trop cool, John john Medina, il est trop fort! » a t’on entendu récemment.

Si le surf est grand public en temps de compétition en France, la WSL fait quant à elle tout pour qu’il n’y ait pas mauvaises informations qui circulent.

On en a eu marre de poser les mêmes questions chaque année à tous les pro et notre innovation n’a pas plus à la WSL. « You have to ask serious questions please, if you can’t, I don’t want to see you there at the press zone. Thank you. » Wow. Cette phrase sonne mal pour la liberté de la presse et pour ces athlètes plus fun qu’il n’y parait. Mais c’est comme ça aujourd’hui, le surf c’est du sérieux. Et on le remarque à la tente noir installée à côté des douches pour le contrôle anti-dopage. Jérémy Florés lave ses mains sous la douche avant d’aller s’installer sur la petite chaise qui l’attend sous la tente. On sent un peu d’anxiété dans son regard bien qu’il n’y ait aucun doute à son sujet. «  Ici c’est la tente anti-dopage que la WSL a fait installer. Je pense que les JO ont mis un peu de pression chez nous mais ce n’est pas pour la mauvaise cause » avoue une employée de la ligue.

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Ça y est, c’est la fin du dernier heat masculin de la journée affrontant le jeune italien Leo Fioravanti au boss Kelly Slater. Place aux filles. Les journalistes s’attroupent devant Leo, à défaut d’avoir Kelly déjà caché, pour une dernière interview avant de filer. Pourtant la compétition est loin d’être finie, puisque les filles enfilent leur lycras. On observe la scène, yeux ébahis. « C’était une bonne journée, je suis content on a eu Leo, il est hyper accessible en fait ! » discutent deux journalistes. Le job est fait. Mais si les médias s’en vont, qui s’occupent d’interviewer les surfeuses ? Et bien pas grand monde. Elles ne méritent souvent que quelques reports de scores sur une fin d’article 100% masculine.

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« C’est terrible à dire mais à part Johanne Defay et encore, je suis pas sûr que sur 1000 personnes t’en ai 5 qui nous cite le nom d’une surfeuse. Même 2 ! »

fun-8-sur-9Je m’approche alors d’un journaliste d’une grande chaine de télévision pour comprendre. « C’est une demande générale de la part de ma rédaction mais aussi de l’audimat d’être focus sur les hommes parce que c’est ça qui plaît. C’est terrible à dire mais à part Johanne Defay et encore, je suis pas sûr que sur 1000 personnes t’en ai 5 qui nous cite le nom d’une surfeuse. Même 2 ! Alors que chez les mecs t’en aura toujours un qui te sortira Kelly Slater. » Le grand public. On y revient. Le grand public ne connaît pas les surfeuses. Mais si c’est le cas, c’est en partie à cause de ce que veut bien communiquer la presse. À force d’être focus sur les hommes, on rentre dans un cercle vicieux où les femmes n’ont pas leur place. Les autres font, donc je fais et les nouveaux copient les anciens (et vive le journalisme !).

Il ajoute « J’ai interviewé 5 surfeurs et 0 surfeuses. J’aimerais que ça change parce que le sport féminin c’est très spectaculaire. Les filles amènent une touche particulière à elles, d’esthétisme, c’est pas que de la puissance. » Malgré tout, l’espace presse est désormais à moitié vide pour le surf féminin.

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Pour d’autres journalistes, c’est de la faute de la WSL. « Ça vient même pas des journalistes, ça vient de la ligue directement. Quand on voit les étapes qu’elles font comme l’US Open où elles sont dans des vagues merdiques, on voit où sont les privilégiés. Lakey Peterson m’en parlé hier en me disant qu’à Cascai elle avait des vagues typées QS que des surfeuses du CT ne devrait pas avoir à surfer. La WSL place clairement les filles en arrière. On le voit aujourd’hui, le vent a tourné, ils sortent les mecs de l’eau pour envoyer les nanas. Tout ça se répercute au niveau de la presse et des médias. »

« Et ce qui est encore plus triste c’est que moi en tant que journaliste je tombe là dedans alors que j’aimerais que ça change. »

Bam bam, ça se renvoie la balle et on se rend bien compte que les pigistes n’ont pas leur mot à dire. « Le soir quand je prépare une émission, je sais qu’on va l’ouvrir avec les hommes parce que comme la WSL les met en avant, c’est les mecs en premier. Et ce qui est encore plus triste c’est que je tombe là dedans alors que j’aimerais que ça change. Hier on en a discuté, est ce qu’on met les filles d’abord car lors du plateau le présentateur a dit « on commence par les hommes, on est pas très galant c’est moche » mais on s’est pas rattrapé parce qu’on savait qu’on allait perdre en audimat et se faire taper les doigts par la hiérarchie. »

L’an prochain il est possible que Jeremy Flores soit le seul surfeur français sur le tour face à trois françaises telles que Justine Dupont, Johanne Defay et Pauline Ado. Vers qui se tournera la presse ? On rentre notre langue de vipère et on attend le résultat l’année prochaine.