Il y en a certaines pour qui c’est facile, d’autres pour qui ça l’est moins. Il y a celles qui attendront l’hiver et les parks vides pour se lancer, celles qui n’iront pas sans être accompagnées. Il y a celles qui se sentent mieux là-bas que n’importe où et puis il y a celles qui n’ont encore jamais osées, guidées par quelques pensées intrusives. Si certains lieux sont facilement fréquentables, il y en a un que certaines redoutent secrètement, bien qu’il leur soit très attrayant.
Comment 100m2 de bitume peuvent-il être aussi intimidant pour la gente féminine ? Immersion dans la tête de skateuses.

À Los Angeles en Californie, les skateuses, ça n’est pas ça qui manque. D’ailleurs si on ouvre l’oeil, elles sont partout. Elles se fondent parfaitement dans le décor et semblent suivre le rythme sans problème. Mais il y a des jours où il semblerait qu’elles se soient donné le mot pour disparaitre. Elles sont -pardonnez moi la comparaison- comme les petits pois d’un riz cantonné: ici et là, éparpillées mais pas omniprésentes. Il y a des jours où il est plus difficile de les trouver, selon l’heure ou surtout, le lieu. Jusqu’à ce que l’on comprenne comment elles fonctionnent.

Que l’on ait osé passer la barrière en fer qui séparent les skateurs des spectateurs, tout le monde ressent l’effervescence très spéciale de Venice. De ceux qui ont décidés de venir s’évader en regardant les roues grincées vue océan, s’émanent une certaine admiration. Pour la plupart ils n’ont bien souvent jamais mis les pieds sur une planche et s’émerveillent devant la vitesse et l’amplitude que prennent les skateurs dans le bowl. Et sans le savoir, leur rajoutent un brin d’adrénaline en posant leurs yeux dans leur direction pendant des heures.
De l’autre côté de la barrière, c’est un tout autre feeling.

« Il ne s’agit plus seulement de savoir skater mais aussi et d’abord de s’imposer. »

Le park de Venice n’est pas comme les autres, il est, en plus d’être mondialement connu, hanté et skaté par des légendes. Des monstres montés sur roulettes. Ils arrivent comme des va et viens à longueur de journée jusqu’à ce que le soleil se couche et que l’accès leur soit interdit puisque réputé trop dangereux et mal fréquenté à la nuit tombée.
Crescendo jusqu’à la pénombre, les skateurs affluent. Si le matin est plus slow au park de Venice, au sunset, on ne joue plus dans la même court et il ne s’agit plus seulement de savoir skater mais aussi et d’abord de s’imposer. Et c’est à ce moment précis que tout commence.

« Ce qui était censé te servir de break pour enfiler tes protections, va vite devenir un sable mouvant. »

Tout va très vite. Ils ont tous l’air de savoir où se placer, quand et comment se lancer. Pour la plupart et pour un peu plus d’adrénaline, ils n’ont pas de protection, prenant le risque de s’éclater le crâne sur le bitume bouillant. En fait, ils ont l’air de n’avoir peur de rien.

Toi, de ton côté, tu sais aussi skater et tu as décidé d’aller essayer ce fameux park dont tout le monde parle. Tu t’y dirige seule et détendue, Ben Harper dans les oreilles, knee pads sous le bras. Seulement tu as à peine monté les premieres marches que les visages se tournent vers toi. Tu croises alors deux trois regards, tu leur souris et fais quelques pas de plus pour venir t’assoir sur une portion de bitume. Ce qui était censé te servir de break pour enfiler tes protections, va vite devenir un sable mouvant.

Les mecs envoient sacrément du lourd et ont tous un style de fou. Naturellement, tu vas chercher à te comparer à ce qu’il se passe sous tes yeux. Fuck, ils sont 30 à se battre pour skater le bowl et arrivent de toute part, à quel moment suis-je censé me lever, poser mon skate à côté d’eux et prendre part à la file d’attente déjà transpirante ? Si je me lance et que je vacille au premier turn, ils vont penser que je suis naze et j’ai clairement pas envie de ressentir ça. Okey, je vais rester là quelques minutes et observer le niveau, tater le terrain, juger si j’ai ma place.

A ce moment là, ton regard va alors se poser sur des genoux protégés, des looks moins étudiés, des cheveux longs, peu importe. Tu veux un truc qui te fasse te dire que si le gars là bas y arrive, tu peux aussi y arriver.
Tu repères une fille en face qui a l’air de savoir ce qu’elle fait. C’est sur, ça n’est pas la premiere fois qu’elle vient et si ça se trouve c’est facile pour elle parce qu’elle est née là et connait tout le monde. Et si ça se trouve… Merde merde, ça fait déjà 20 minutes que tu es assise là et tu n’as toujours pas osé te lancer. Allez là, faut juste que tu arrives à te lever et après tu ne pourras plus reculer. Met toi un peu de rap américain dans les oreilles, le petit Ben t’endors.

« Parce que le skateboard ne doit pas être quelque chose d’intimidant. »

A Venice, comme partout ailleurs, elles sont nombreuses à avoir vécu ce moment gênant. Celui où tu as l’impression que tous les regards sont posés sur toi et que tu es ridicule. Celui qui peut te gâcher une session ou carrément te dégouter du sport si tu ne trouves pas le déclic qui te fera te lancer. Ça n’est bien-sur pas une généralité, il y a certaines badass pour lesquelles c’est inné, qui don’t give a fuck avec le regard des autres. Et c’est celles là qui vont alors aider les autres.
C’est clair, les filles dans ce genre de situation ont un radar. Un espèce de truc solidaire qui se développe en elles et qui va leur donner envie d’agrandir leur cercle d’initiées. Parce que le skateboard ne doit pas être quelque chose d’intimidant, au contraire.

Ça n’est pas une surprise, le skate est un univers très masculin et pour cause sur instagram et dans les grandes villes, les crew solidaire de skateuses se répandent. Lucy, fondatrice des grlswirl l’a évoqué a plusieurs reprises: « Pour une fille, il est bien plus facile de trouver sa place quand on se sent soutenue par un groupe. On n’est alors plus toute seule à attirer l’attention et on ose plus facilement. »

Finalement, ce mec qui avait tant l’air de gérer la situation, vient de s’éclater au sol devant toi. Si tu as mis 20 minutes pour trouver le courage, tu n’en mettra pas une de plus pour enfiler tes knee pads et te lancer. Allez, c’est humain. On a tous peur d’échouer. Monroe, skateuse passionnée s’est faites la reflexion: « Que veux dire échouer ? Etre mauvaise pour quelque chose ou ne pas essayer du tout ? De toute façon, on ne peut y arriver qu’en essayant et c’est avant tout dans la tête que ça se passe. » Elle a raison. Les regards qui nous entourent ne sont peut-être pas toujours les vraies juges.
Priska, 14 ans, skate au park avec sa soeur depuis 4 ans et elle est persuadée que « les mecs sont contents de skater avec les nanas, qu’ils trouvent ça cool et que c’est à nous nanas, de nous enlever nos propres barrières. Parfois je viens sans ma soeur, c’est moins facile de trouver ma place mais au final quand je suis lancée je n’y pense plus. Alors c’est ça, faut juste se lancer. »

Si les skateuses ont l’air de s’effacer du paysage à certaines heures de la journée ici à Los Angeles, c’est parce qu’elles savent exactement quand apparaitre pour avoir un maximum de plaisir, sans pression, ni jugement. Lucy et ses copines sont là à 7h du matin avant le travail. A 3 ou plus, peu importe le niveau, elles viennent profiter du park désertique pour apprehender les courbes du bowl à leur rythme. L’objectif ? Débarquer au sunset pleines d’assurance et pousser d’autres nanas à se lancer avant que le décompte anxieux des 20 minutes ne démarre.

Credits photos: Fred Rousseau + Bryanna Bradley  + Esphotonyc