Il y a des rencontres que l’on n’oublie pas. Et celle avec Donna Carpenter, PDG de Burton, en fait définitivement partie.
Dans le restaurant montagnard de l’un des plus beaux hôtels d’Avoriaz, Donna attire l’attention avec facilité des 10 personnes attablées autour d’elle dont nous faisons parti. Friendly, modeste et très bonne storyteller, elle se livre avec le sourire sur les histoires qui ont marqué sa carrière et n’a pas peur de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas.
A la tête de plus d’un millier de salariés à travers le monde et d’un chiffre d’affaire exorbitant de plus de 400 millions de dollars par an, Donna n’a pas seulement repris les commandes de l’équipementier numéro un mondial fondé par son époux, Jake Burton. Total girl power dans l’âme, elle a su réinventer la culture de l’entreprise et ainsi permettre aux femmes et athlètes de bousculer les codes. Donna est, malgré elle, devenue un véritable exemple pour des sociétés qui peinent encore à faire changer les choses. Traduction.

« Dans la liste des 10 choses les plus importantes pour être une bonne chef d’entreprise, la première était « bien choisir son mari ». Oui oui! Bien choisir son mari! »

Comment vous êtes vous retrouvée à la tête de Burton ? Quel a été le processus ?

Quand j’avais 22 ans, Jake et moi, on s’est installés en Autriche. Jake fabriquait des snowboards dans les Alpes et à ce moment là il avait besoin de développer le marché Français alors il m’a proposé de les vendre. Ma première réaction a été de lui dire: « Tu es dingue ! » et il m’a répondu: « Je sais que tu peux le faire ! ». Et puis après ça, il a dit que nous avions besoin d’un directeur financier et il m’a à nouveau répété: « Allez fais-le ! ». C’est Jake qui m’a poussé et soutenu pendant toutes ces années.

Vous savez quoi Manon? Je suis allé à une conférence sur la femme une fois et il y avait une femme qui parlait du top 10 des choses dont nous avons besoin pour être une bonne chef d’entreprise. Et la première chose était « bien choisir son mari ». Oui oui! Bien choisir son mari!
Mon mari m’a toujours soutenu. Comme je vous le disais, étant jeunes nous avons vécu en Europe et quand nous sommes rentrés aux Etats Unis, Jake a dit « nous avons besoin d’un CEO, tu pourrais être la bonne personne pour ça! » et j’ai bien-sur répondu que je ne pouvais pas faire ça, qu’à aucun moment je pouvais faire ça! Et il m’a dit: « Oui tu peux le faire! » et je l’ai fait.
A chaque étape, 3 ans avant que je devienne CEO, il me répétait « tu devrais être CEO » et je n’arrêtais pas de dire « non je ne peux pas, je ne serai jamais CEO » et c’est totalement féminin. Je peux te donner, en tant que femme, 10 raisons pour lesquelles je ne suis pas prête et un mec te donnera 10 raisons pour lesquelles il aurait du avoir le job que tu as eu il y a une semaine. Les femmes devraient avoir plus confiance en elle, mais on y travaille et mon mari est mon plus grand fan, vraiment.

« Quand les entreprises m’appellent pour me demander comment j’en suis arrivée là, je leur répond: « j’ai plongé tête baissé dans le travail pendant 14 ans, êtes vous prêt à faire ça? » »

Cette relation que vous avez est incroyable et je suis certaine que ça va inspirer tout un tas de nanas. Alors femme au pouvoir, mais qu’en est-il de vos salariés ?

Vous savez, je vais vous dire quelque chose. Ça n’a jamais été à propos de moi, ça n’a jamais été à propos de Jake, c’est à propos de ce sport. Je veux dire… Qui se soucie que je sois CEO? Je me soucie que la moitié de ma team soit des femmes. Voilà ce qui m’importe vraiment et cela fait 14 ans que ça dure.
J’ai démarré en 2002 et j’ai réalisé que nous étions moins de 10% de femmes. On s’est toujours vu comme une communauté in-clusive et on s’est dit « ok nous devons inclure davantage les femmes si nous voulons nous voir comme tel ».
Donc ça a été 14 ans de travail, de putain de travail. Pardon pour mon language mais c’est la vérité.
Quand les entreprises m’appellent pour me demander comment j’en suis arrivée là, je leur répond « j’ai plongé tête baissé dans le travail pendant 14 ans, êtes vous prêt à faire ça? »
Et je dois aussi mentionner mon mari. En 2002, Jake a eu une réunion avec nos directeurs du monde entier et sur les 25 leaders seulement 2 étaient des femmes. Alors que les femmes sont quand même plus à même de savoir ce qu’elles doivent porter.
Alors en rentrant de sa réunion, il est venu me voir et il m’a dit « on a un problème ». Et je pense qu’il ne saurait même pas vous expliquer pourquoi mais il m’a dit que ça n’allait pas être bon pour Burton à ce moment là. Je me suis définitivement marié avec le bon mec (rires).

Et aujourd’hui le bilan est super positif. Quelles ont été les étapes ?

En 2003 nous avons mis en place de nombreux programmes pour qu’il y ait autant de femmes que d’hommes dans la société. Nous avons créé un groupe de réflexion afin de donner aux femmes les outils nécessaires pour qu’elles se sentent bien sur leur lieu de travail. Par exemple, nous avons véritablement aménager l’emploi du temps des femmes qui venaient d’accoucher, nous avons même décidé de prendre en charge les frais de baby-sitting pendant les 18 premiers mois de la naissance. Nous avons également mis en place un système de formation interne pour les femmes qui souhaitent devenir ingénieurs parce que c’est un profil difficile à trouver et le secteur reste très masculin.
Ah oui et il y a aussi le programme de tutorat ! Chaque femme prometteuse peut faire équipe avec une femme plus expérimentée qui va lui ouvrir les yeux sur ses capacités et l’aider à prendre plus d’assurance pour progresser dans les responsabilités, prendre la parole en public, etc. Et cela a si bien marché que les hommes ont demandé eux aussi à bénéficier d’un programme de mentoring. On ne les laisse pas pour contre pour autant, ils bénéficient aussi d’un congé paternité par exemple.
Enfin, après 14 ans de travail acharné, nous avons aujourd’hui 43 % de femmes aux postes les plus importants. Et ce qui est top c’est que nous avons des femmes à des postes inhabituels : directrice marketing, directrice des opérations, directrice de l’Amérique du Nord. Et un mec en ressource humaine, post très largement occupé par des femmes en général ! Des femmes très puissantes ont pris possession de postes hauts placés dans l’entreprise.

En fait, on pensait être en retard mais ça n’était pas le cas du tout. 10 ans après certains dirigeants veulent connaitre l’histoire et honnêtement je n’aurai jamais imaginé parler de ça. Je n’aime pas être sur le devant de la scène mais je me rend compte avec le temps que ça peut inspirer d’autres personnes à en faire autant dans leur entreprise.

« Le snowboard était plus égalitaire que le football »

Ça me fait penser à la World Surf League. La big boss est maintenant une femme et elle a mis en place un prize money égalitaire, vous en dites quoi ?

Qu’ils sont en retard ! (rires). Bienvenue au club ! Pour nous, ça fait 30 ans que le prize money est égalitaire et j’ai presque envie de dire depuis toujours. Nous n’avons jamais eu de prize money différent. Je n’oublierai jamais l’US Open dans les années 80 ! Jake a tenu à ce que la rémunération soit égalitaire pour les hommes et les femmes parce que tout le monde ride le même halfpipe et que les femmes prennent autant de risque que les hommes !

Nous avons eu une conversation intéressante il y a quelques mois avec la jeune Julia Marino (snowboardeuse slopestyle américaine) et nous lui avons demandé « pourquoi le snowboard? » et sa réponse a été assez surprenante.
Elle a répondu « J’ai toujours su que je voulais être une athlete professionnelle et ma première idée était de devenir footballeuse professionnelle mais mon père m’a dit « est ce que tu sais combien gagne une footballeuse pro comparée à un footballeur pro ? Il y a une différence de 1 à 10 et tu ne vas rien gagner en tant que femme ». Elle était aussi très bonne en snowboard alors son père lui a dit « tu devrais te mettre à fond dans le snowboard, tu gagneras plus d’argent! ». Et pour moi c’est incroyable ! J’étais en mode oh mon dieu, nous devons raconter cette histoire partout parce que son père était persuadé, déjà à l’époque, que le snowboard était plus égalitaire que le football.

Je me souviens quand mes enfants était adolescents, si vous leur demandiez quels étaient leur snowboadeurs préférés ils vous auraient répondu Kelly Clark et Danny Davis. Et autant l’un que l’autre parce que Kelly ridait le même slopestyle que Danny et elle le scorait grave!

« La nouvelle génération est plus confiante, elle porte ce qu’elle veut et ça ne les empêche pas de botter les fesses des mecs ! »

Pensez-vous qu’être une femme qui fait du snowboard est aussi facile que pour un mec ?

A un moment notre meilleure free rideuse était Victoria Jealouse. Victoria a dit « si je joue avec les big boys, je dois ressembler aux big boys! ». A l’époque elle portait des tee shirts extra larges, c’était trop marrant.
Pendant longtemps pour faire des collections femmes, on faisait du « pink and shrink ». On reprenait les modèles des vestes de mecs et on les réarrangeait avec des coupes plus cintrées.
Et c’est là qu’on s’est dit qu’il fallait commencer à designer différemment pour les femmes. Je vous parle de ça mais c’était il y a 15 ans et depuis je pense que ça a bien changé. La nouvelle génération est plus confiante, elle porte ce qu’elle veut et ça ne les empêche pas de botter les fesses des mecs ! (rires). La nouvelle génération n’a pas besoin de choisir entre être snowboardeur et porter un soutien gorge, vous n’avez pas à choisir !

Et pour preuve, vous venez de signer avec une nouvelle snowboardeuse talentueuse. Pourquoi Chloé ?

Chloé avait 9 ans quand notre rideuse Kelly Clark l’a rencontré. Elles faisaient du snowboard ensemble à Mammoth aux Etats Unis. Et quand Kelly l’a rencontré, elle nous a appelé et elle nous a dit: « Cette fille! Il faut que vous sponsorisiez cette fille! ».
Et vous savez, un des moments les plus puissants de ma carrière a été aux derniers Jeux Olympiques pour lesquels Chloé faisait partie.
Après la victoire, il y a ce qu’on appelle les coach awards, c’est une cérémonie et c’est aussi le moment de remercier tes coachs et tes parents par exemple. Chloé a remercier les rideurs, les compétiteurs ! Il n’y avait aucune paires d’yeux secs, tout le monde pleurait, même les mecs ! Moi j’étais en mode « heuuu j’ai un call je reviens ! » (rires). Jamais dans l’histoire des JO, un athlete en avait remercier un autre malgré le fait qu’on soit une superbe communauté. Donc quand Kelly a dit « cette fille! », elle avait raison!

Enfin, une chose que vous devez savoir à propos du snowboard c’est ce que ça n’est pas que de la compétition, c’est beaucoup de passion et il s’agit aussi d’inspirer les autres. Et vous pouvez le faire de pleins de manières différentes, vous n’avez pas besoin de savoir rider un half pipe ou avoir une nouvelle board, vous avez juste besoin d’avoir la bonne attitude et… une caméra ! (rires).

Merci beaucoup Donna. Je crois que tout est dit…

Suivez ses aventures sur son instagram, ça va forcément vous plaire !

Crédits photos: Philippe Rossier – Oreli.b Photography – unknown