Quand Patricia est arrivée chez Rip Curl en juillet 1988, à l’atelier il n’y avait que des coupeurs hommes qui s’arrêtaient de travailler dès qu’il y avait des vagues. Agacée, elle appelle alors sa maman pour lui annoncer qu’elle ne restera pas là bas bien longtemps. Finalement, 30 ans après, Patricia est encore là et dirige aujourd’hui un atelier de 5 femmes, spécialisées dans le néoprène. Nous nous sommes rendus dans les backstages de la marque et il est temps pour vous de découvrir ce que nous y avons découvert.

« Au début chez Rip Curl, je faisais des combinaisons sur mesure. A l’époque le néoprène n’était pas du tout souple comme maintenant et on se mettait parfois à deux pour enlever une 4/3 sur une personne. C’était super épais, hyper rêche et au fil du temps les gens ont eu du mal à croire qu’une combinaison souple et plus fine pouvait être chaude ».
Patricia en connait un rayon et pour cause, elle est là depuis le début et a vu évoluer la marque comme on voit grandir son enfant.

« Les surfeurs venaient à l’atelier et on les mesurait en maillot de bain. »

« Tu vois, ça, c’est les fiches que je remplissais pour faire les combinaisons sur mesure. Les surfeurs venaient à l’atelier, on les mesurait en maillot de bain et après on leur produisait leur combinaison unique en 10 jours. C’était vachement de travail parce qu’il n’y avait pas de sample* mais c’était une belle époque » me raconte Patricia avec un brin de nostalgie, en feuilletant les archives qu’elle a gardé précieusement dans une armoire de l’atelier. L’encre a coulé, le papier a jauni mais pour elle, c’est comme si c’était hier.

J’aperçois sur les murs des posters dédicacés de champions olympiques avant que mes yeux ne soient attirés par les dizaines de cartes postales et autres photos souvenirs qu’elle projette sur la table.
« Rip Curl c’est une famille pour moi. J’ai reçu beaucoup de cartes et de photos pour me remercier des combinaisons qu’on fabriquait avec les quinze autre filles de l’époque ».
Windsurfeur, canoë-kayakiste, photographe aquatique, jeune espoir du surf… pour beaucoup elle a été un point fort dans une carrière.
Il faut dire que la combinaison est aussi importante que la planche de surf et ça, ce n’est pas la doyenne de l’atelier qui dira le contraire !

5 femmes qui travaillent la pièce la plus vendue de la marque. Finalement, c’est elles les patronnes chez Rip Curl Europe.

Comble de l’histoire, Patricia n’a jamais mis les pieds sur une planche et se met pourtant dans la peau des surfeurs chaque jour. A défaut de se mettre dans celle d’une combinaison… car aussi fou que cela puisse paraitre, Patricia n’a enfilé une combinaison qu’une seule fois en 30 ans ! Elle avoue même admirer ses collègues sur-motivés qui partent les matins d’hiver avant le travail, 4/3 et planche sous le bras.
Elles sont 5 aujourd’hui à l’atelier à penser technicité et à réparer les combinaisons qu’on leur envoie en SAV. 5 femmes qui travaillent la pièce la plus vendue de la marque. Finalement, c’est elles les patronnes chez Rip Curl Europe.

« Un soir dans la nuit j’ai fais le rêve d’une combinaison sans fermeture éclair. Ça pouvait paraitre fou à l’époque mais il fallait absolument que j’essaie. »

Et autant vous dire qu’elles ne sont pas là pour enfiler des perles !
Patricia est un peu la star de l’atelier. Pas que pour son ancienneté mais surtout pour cette idée de génie qu’elle a eu une nuit après une dure journée de travail.
« J’étais aux réparations pendant une semaine, j’avais changé beaucoup de fermetures éclair, j’en avais vraiment marre et le soir dans la nuit j’ai fais le rêve d’une combinaison sans fermeture éclair. Ça pouvait paraitre fou à l’époque mais il fallait absolument que j’essaie. Le lendemain matin je suis allé voir Jo Cetran, je lui ai demandé d’essayer mon prototype qu’il a trouvé pas trop mal. Quelques temps plus tard il l’a amené en Australie et ça a démarré comme ça ! Et visiblement ça plait, puisque la plupart des marques de surf nous ont copiés ».

Tout surfeur qui se respecte connait cette fameuse phrase qui illustre si bien le moment où on se change sur le parking: « struggle is real ».  Si la combinaison doit être une deuxième peau pour le surfeur et lui permettre d’avoir des mouvements fluides et rapides, elle n’est pas la tenue la plus facile à enfiler. Bon nombre de débutants ont d’ailleurs perdu leur dignité sur un parking un jour d’été après être resté coincé les deux bras le long du corps. Et ça, ça a le mérite d’agacer Patricia ! « On voit des combi abimées tous les jours mais parfois je ne suis pas étonnée quand je vois comment certains l’enfile… j’ai vu des gens enfiler les combi zip free par le col. Par le col, tu imagines ? Quand c’est comme ça, je les regarde faire, galèrer à l’enfiler et une fois qu’ils sont dedans, je leur dis que ça n’est pas comme ça qu’il faut faire et que la combi est à l’envers (rires) ».

Pourtant à l’atelier Rip Curl, le plus important n’est pas le look mais le confort du surfeur. Elle nous explique: « N’importe quelle personne qui essaie une zip free, ne pourra plus revenir en arrière. C’est comme si on mettait une immense fermeture éclair sur un legging, c’est inutile ! La combi doit faire corps avec le surfeur et quand on les crée ici à l’atelier, le principal pour nous ça n’est pas le look mais le bien-être du surfeur. En fait, plus tu vas rajouter d’éléments comme la sérigraphie, le zip, etc, moins elle sera souple. Le néoprène pour moi, c’est une question de touché. Tu peux avoir le même type de néoprène dans deux couleurs différentes et ça ne sera pas la meme chose. Les couleurs fluos sont moins élastiques qu’en noir par exemple ».

Patricia les a étudié dans tous les sens avant de pouvoir avancer ces détails. « Tout ça a demandé pas mal d’essais, ça a fait parti de mon travail à une époque. Bon maintenant la technicité du néoprène a vachement évolué mais on a du faire beaucoup de test pour savoir ce qui marcherait ou pas. Par exemple, avant de savoir si on pouvait imprimer sur le néoprène, on a du essayer avec plusieurs températures différentes pour ne pas brûler le néoprène. On en a brulé mais on a fini par trouver la température idéale ».

« Bien loin du made in china et du travail à la chaine, on ne s’ennuie pas. »

Alors que Patricia répond à mes questions, j’entends les machines tourner. Les lycras d’une future compétition sont entrain d’être confectionnés derrière moi pendant qu’une modéliste répare minutieusement une combinaison déchirée.
Ici, on reçoit les combinaisons endommagées et on s’assure qu’elles repartent comme neuves. Il faut le souligner, Rip Curl est l’une des dernières marques à avoir un atelier pareil en son siège. Bien loin du made in china et du travail à la chaine, on ne s’ennuie pas. « Je suis bien ici et je n’ai l’envie d’aller nulle part ailleurs. Tous les matins tu penses faire quelque chose et finalement on débarque dans l’atelier pour te demander autre chose. Aucune journée ne se ressemble, et tant mieux ! ».

Et c’est sans compter, les petites blagues qu’elle s’amuse à faire à ses collègues qui ne respectent pas les règles d’entretien de ses bébés. « Beaucoup de collègues surfent entre midi et deux et quand ils rentrent de la session, ils étendent leur combi sans les rincer, ah ça me révolte ! Alors ce que je fais c’est que je les prend et je les cache ! ».

Si vous qui nous lisez n’avez pas de Patricia à la maison pour vous rappeler à l’ordre, n’oubliez pas de rincer les combinaisons à l’eau claire, elles auront une durée de vie beaucoup plus longue.

Finalement, tout ce que l’on peut souhaiter à l’avenir de Rip Curl, c’est que Patricia fasse de beaux rêves pour de nouvelles idées de génie.