Les mecs voulaient absolument que je me confronte à la droite de Pipeline, Ehukai Sandbar.
Pipeline c’est l’un des spots de surf le plus prestigieux de la planète. Mais avec la beauté de la vague, très creuse, la puissance et la proximité avec le fond de corail en font aussi le spot le plus dangereux. Si certains spots comme Teahupoo à Tahiti rivalisent avec sa puissance, cette vague reste quand même la plus redoutée au monde et ce même par les surfeurs pro puisque chaque année de nouvelles victimes y laissent leur vies…
On s’était levé super tôt pour être sûre que le vent ne soit pas encore très fort. C’était clean, ça déroulait et ça n’avait pas l’air si gros. Enfin c’est ce que je croyais. J’ai pris ma board, j’ai mis mes deux pieds dans le sable et j’ai essayé de ne pas trop réfléchir. La plage étant en pente, plus je descendais plus les vagues me paraissait grandir. Derrière moi, les palmiers et les beach houses semblaient m’observer.
« Manon t’as la Volcom House dans ton dos déconne pas c’est gros là ! », « Allez, girls can ride quoi ! Faut honorer ton claim… », « T’as pas envie de crever maintenant et t’as promis à ta mère de rentrer en vie souviens toi », « C’est bon, c’est que de l’eau, au pire t’en avales un peu et au mieux tu ressors avec ta planche entière ». J’avais l’impression d’être schizophrène. Plus mes pensées devenaient nombreuses et me rendaient lourde, plus les grains de sables s’enfonçaient sous le poids de mon corps.
Il y avait seulement trois mecs dans l’eau avec un très bon niveau et je n’aurai jamais du les regarder surfer en comparant leur taille à celle de la vague. Dans ces moments là, il faut savoir mettre son cerveau sur off et prendre une décision rapide. Soit j’y vais, soit j’y vais pas. Je n’ai pas su couper l’activité cérébrale de mon cerveau et je suis resté là, figée, plusieurs longues minutes, les pieds dans le shore break à essayer de retrouver mon courage englouti par ma peur.
Je suis presque incapable d’expliquer ce qui s’est passé dans ma tête à ce moment là, j’étais complètement figée. Impossible de me résonner en me disant que ça n’était pas grave, que j’y retournerai et qu’en y réfléchissant peu de nanas s’y serait jeté de toute façon. Je me disais plutôt que j’étais naze, que je ne pouvais pas rester là, si près du but, que je n’avais pas fait toute cette route pour me tremper les orteils dans une eau à 24 degrés, que c’était la honte et que je le regretterai toute ma vie. Aucune pensée ne valait plus qu’une autre et j’étais incapable de me décider jusqu’à ce qu’un des hawaïens sortent de l’eau et me pousse à y rentrer. « Allez, pense à une chanson que tu aimes et si tu tombes tu cherches ton leash. Moi aussi j’ai peur mais je serai avec toi, promis ». Merci ça me rassure. J’ai balancé ma board dans l’eau, j’ai mis 4 coups de rame, j’ai pleuré, j’ai passé la première vague, j’ai senti la puissance de l’eau qui bougeait sous moi, j’ai passé une autre vague, j’étais pas loin du pic mais j’ai vu la série arriver et j’ai fais demi tour. J’étais pas prête, pas là, comme ça, pas maintenant.
Je sais maintenant que ce que je n’arrive pas à expliquer s’appelle du feeling et qu’à chaque fois que je me suis écouté je ne l’ai jamais regretté. Parce que dans ce genre de situation, c’est mon coeur que j’écoute et pas un tas de pensées que mon ego essaie de me faire passer pour de la raison. Si j’avais écouté les 3/4 de mes pensées à ce moment là, j’aurai abandonné le surf aujourd’hui. Parce que j’aurai surfé pour la mauvaise raison. J’aurai surfé pour prouver des choses aux gens qui m’entourent, je me serai jeté dans l’eau pour prouver aux hawaïens avec qui j’étais que je savais surfé, pour avoir quelques shots sympa à balancer sur instagram, pour prouver à ceux qui me lisent que je suis capable de rider et que « girls can ride » ça n’est pour moi pas que des mots, pour fermer la bouche des gens qui me critiquent et me collent une étiquette sans même me connaitre. Peut-être que je me serai blessé au nom de tout ça, ou que j’aurai eu la peur de ma vie et me serait dégouté du surf.
Mais le fait est que je n’ai rien à prouver à personne. Je surfe pour moi, parce que ça me fait vibrer, que ça me rend vivante et que c’est la meilleure façon que j’ai trouvé de ne penser à rien une fois au pic. Parce que c’est ça le surf, avant d’être un objet marketing instagramable. C’est se sentir glisser, prendre du plaisir, avoir le smile, partager avec des gens qu’on aime et se mettre au défi en connaissant ses limites. Mais aussi et surtout, y allait quand on le veut, où on le veut et avec qui on le veut. C’est être libre.
Alors j’ai décidé que je n’allais pas gâcher tout ça à cause d’une pression sociétale à la mode qu’on m’inflige en tant que blogueuse à devoir prouver tout et tout le temps pour être légitime. Parce qu’on s’affiche, qu’on fait passer des messages positifs, il faudrait être le meilleur pour avoir le droit de partager des choses. Il faudrait être pro surfeur pour avoir le droit de dire qu’on part en surf trip à Hawaii sans poster d’action shot tous les jours, il faudrait être pro skateur pour avoir le droit de poster des photos assise sur un bowl… Et bien non, cette fois j’ai eu peur, je ne suis pas allé à l’eau et je n’ai pas honte de le dire et ça ne rendra pas mon message moins vrai et ça ne me rendra pas moins surfeuse. Parce que la ride, c’est ça aussi, prendre des claques un jour et y retourner un autre avec encore plus de courage. C’est ce que j’ai fait. Rendez vous day 11.