Je suis le genre de nana à faire des listes. Des listes de tâches que je ne veux pas oublier de faire dans ma semaine, de prénoms que j’aime, de choses que je veux réaliser. Si j’avais du faire une liste des meilleures journées de ma petite existence, celle d’aujourd’hui serait probablement en tête. Wow. Je ne sais pas exactement par où commencer tellement j’ai d’ondes positives qui parcourent mon esprit.

Cela fait maintenant 5 jours que je suis arrivée aux Etats Unis. Après un weekend en mode blogueuse fashionista à Coachella, me voilà de retour dans mon état naturel à Los Angeles et je ne m’attendais absolument pas à vivre autant de choses. A l’heure ou je vous écris, cela fait déjà longtemps que le soleil s’est endormi mais il faut que j’écrive, que je fige mes pensées et mon enthousiasme sur des mots avant d’oublier ce feeling bien trop rare.

En rentrant ce soir, les deux pieds bien accrochés sur le grip de mon Carver, je me suis demandée comment je pouvais me souvenir éternellement de ce sentiment d’être si happy. Comme on fige nos visages sur une photo, j’aurais voulu pouvoir figer ce feeling et être capable de le ressentir quand j’en aurais besoin. Alors je cligne des yeux, comme le déclencheur d’un appareil photo jetable dont la pellicule ne serait développée qu’en cas d’extrême urgence. J’ai apposé cette précieuse pellicule là, juste ici dans ma tête, renommée dans un dossier LDRMV parce que « le début du reste de ma vie » était déjà pris.

Je me suis fait peur, à me dire que c’était trop beau pour être vrai et qu’un pick up allait finir par me faucher au prochain croisement. Puis je me suis rappelé que tout arrive pour une raison et que si j’étais si heureuse c’était certainement parce que j’étais à ma place, là sur le bitume chaud de la rue de Culver city, non loin de Venice beach et de tous ces noms qui étaient restés pour moi jusqu’à présent que des lettres sur des affiches touristiques.

« Après tout, nous sommes les auteurs de nos propres rêves »

Le fait est que je suis encore plus consciente de ce qui m’entoure parce que je viens de loin et que je connais par coeur chaque pixel de ces affiches touristiques. J’ai posé mes pieds sur une board bien trop tard et l’océan n’est mon voisin que seulement depuis quatre petites et précieuses années. Avant ça, j’ai eu la belle vie mais surtout le temps de rêver, de laisser voyager mon esprit à des « maybe one day » et des idéologies de vies qui me semblaient très loin de ma vie actuelle bien qu’encore accessibles par mon optimisme. Ce qui a rendu cette journée si merveilleuse n’est pas tant son programme mais plutôt ce goût de « revanche » inconscient sur ces vingts années de rêverie intensives dont le sort n’était pas prononcé. Comme un prime time de The voice où tu attendrais qu’un de tes trois (coach) rêves se (retourne) réalise à défaut de te laisser là, seule face à des (spectateurs) feed instagram dans ton 10 mètres carré parisien. Je ne sais pas, peut-être celui de vivre sur une île déserte avec un métisse ou alors celui de devenir présentatrice télé d’une émission de ride. Finalement je n’avais pas le temps d’attendre, j’ai poussé Jennifer de son siège et m’y suis glissé. Après tout, nous sommes les auteurs de nos propres rêves. Aux chiottes Jennifer, les préjugés, les on dit et les madame n’a rien compris. 

Il est 9h14, j’habille mes cils d’un dernier coup de mascara, j’enfile ma casquette pour cacher ma tignasse, je chope mon skate et je file à mon rendez vous. Mon rendez vous, c’est le directeur marketing de Carver et je peux maintenant te raconter ce que ça fait de mettre ses deux pieds chez un géant du skate en Californie.

J’ai d’abord souris intérieurement de sa prononciation pour mon prénom puis mon visage s’est arrêté devant les cadres qui décoraient les murs blanc devant moi. L’une de mes surfeuses préférée était là, derrière la vitre du cadre en bois, toute enjouée tenant dans sa main un Carver brandé USA. De l’autre côté, on avait du vouloir remplacer les banalités qu’on a tendance à afficher aux murs par quelques chefs d’oeuvres battis dans le bois et le fer. Toute la collection de Carver y était, soigneusement accrochée. Je sentais que ce petit objet avait du changer beaucoup de destins et ça le rendait spécial.

« A ce moment là, j’ai pensé qu’avec peu on pouvait accomplir de grandes choses »

Peter prenait un malin plaisir à nous montrer étape par étape comment leurs planches étaient confectionnés et je le regardais avec beaucoup d’enthousiasme. Il avait l’air passionné par ces morceaux de féraille – qui font office de trucks – rendant notre glisse plus fluide. Il était aussi très respectueux des mains de ceux qui les travaillent en boucle. A ce moment là, j’ai pensé qu’avec peu on pouvait accomplir de grandes choses, qu’il suffisait juste de savoir tailler avec le bon geste au bon endroit, ou simplement aller dans la bonne direction avec les bonnes personnes. J’avais l’impression d’avoir la chance d’être, à ce moment précis, au bon endroit avec les bonnes personnes.

L.A oblige, on passait notre temps à frotter nos genoux sur le béton des skatepark de Venice beach et de Santa Monica et à chaque fois on y faisait des rencontres insensées. Une fois le rendez vous terminée, on avait filé au skate park de Santa Monica et c’est Eric qui nous a accueilli. Tu sais le mec hyper stylé qui danse dans le bowl sur la couverture du magazine Trasher en 90. Il me raconte qu’il a vu passé tellement de super skateurs là où je pose mes pieds et qu’une des nanas qui skatait à l’époque est devenu pro en seulement 4 ans de skate ici. Et puis finalement que girls can ride.

Il y avait aussi un petit morceau d’humain habillé en salopette rose qui s’amusait à droper comme s’il versait des céréales dans son bol. Facilement, tout en souplesse. Je crois me souvenir qu’elle n’avait que neuf ans et qu’elle avait encore une heure pour skater avant d’aller finir ses devoirs dans le creux de l’un des bowl les plus profonds du skatepark. Deux crayons de bois rose, un cahier posé dans ses petites mains et ses hanches qui s’agitaient pour faire bouger la planche en va et viens, de gauche à droite, sur le bitume bouillant de Santa Monica. Dans ses gestes, on pouvait ressentir son excitation précoce de vite en finir avec les quelques lettres qu’elle tentait d’écrire entre deux lignes. La fougue de droper à nouveau, de sentir le poids de son corps vaciller dans le vide, de faire grincer ses roues et de se sentir plus grande et plus forte une fois ses orteils sur ce si petit bout de bois. Je n’avais mal qu’aux cuisses et pourtant j’ai eu l’impression qu’elle m’avait mis une claque. Une fois sur sa planche, 9 ans ou pas, elle était grande. Son talent la rendait mature et bien plus experte que je pouvais l’être avec 16 ans de plus. Elle aurait pu apprendre à skater à tout un tas d’adultes, avec psychologie et professionnalisme. Leur dire d’évacuer leurs pensées avant de se lancer ou de rester souple sur leurs appuies et ça les aurait aidé dans la vie en générale. Elle était si pure et déjà si forte, elle serait une badass, j’en étais sûre. Au diable le futur, elle l’était déjà.

Le temps défilait à toute allure et cette journée n’en finissait pas de me donner des leçons. Il suffisait d’essayer de les discerner dans les interactions et je grandissais à chaque minute. Mon pote me faisait remarquer que j’avais le visage sans expression par moment. Je souriais pourtant très fort mais tout était à l’intérieur, précieusement conservé, intacte. Mon visage, lui, observait et cherchait l’apprentissage dans ce qui se déroulait autour de moi. C’était fou d’être là et il n’était pas question d’en rater une miette.

J’ai alors choisi un des bowl, ni le plus profond, ni le plus petit et m’y suis jeté des dizaines et des dizaines de fois. Je voulais progresser, donner le meilleure de moi même. A chaque fois qu’un drop semblait être le dernier, j’y retournais espérant faire mieux. Je me suis souvenue avoir observé les inconscients qui skataient ce genre de truc beaucoup trop profond des centaines de fois en face du siège de Quiksilver. Jamais je n’aurai cru pouvoir m’y jeter, jamais. De peur de me briser les poignets ou de me refaire le portrait. Mais cette fois ça n’était pas pareil, j’avais confiance, j’étais avec les bonnes personnes et c’est ce qui a fait toute la différence. Au bon endroit avec les bonnes personnes. J’ai quitté le park avec un énorme sourire et celui là était bien visible. Un sourire de satisfaction parce que j’avais tenté de tout donner, que j’avais appris et qu’en plus je me sentais épuisée mais bien.

J’aurais pu détester la Californie et Los Angeles si seulement je n’avais pas vécu tout ça au moment où je l’ai vécu. J’avais l’esprit ouvert et j’ai ramassé toutes les bonnes ondes sur mon passage comme un joueur de Mario Kart ramasse les champignons rouge pour se booster. Alors en rentrant ce soir, les deux pieds bien accrochés sur le grip de mon Carver, je cligne des yeux une dernière fois avant que la pellicule affiche pleine, prête à être développé, un jour, loin d’ici.

Copyright photos: Fred Rousseau, cliquez ici pour suivre son travail.